Dans le Noir ? vient d’ouvrir son 17 ème restaurant à Hong Kong et de lancer son premier parfum. Quels sont les points clefs du succès de cette marque ?
Nous sommes fondamentalement des fabricants d’expériences. Parce que nous pensons que cela à de l’impact, que vivre une expérience nous marque profondément. On dit souvent chez nous qu’une bonne expérience vaut mieux qu’un long discours.
Dans ces expériences, il y a plusieurs niveaux de bénéfices pour nos visiteurs.
Bien sur une expérience sensorielle hors du commun. En nous privant de notre sens dominant de la vision, autour du parfum, nous proposons une exploration unique des sens du goût, du toucher, de l’olfaction.
Mais aussi une expérience de convivialité, une façon de rencontrer l’autre libéré des conventions sociales, des aprioris.
Enfin nous proposons une rencontre inédite avec la différence. Quand l‘aveugle devient nos yeux et que nous devons leur transférer la confiance le temps d’un diner, d’une heure dei massages ou d’un atelier sensoriel autour du parfum
Ce renversement de perspectives nous a permis de créer une entreprise qui se développe depuis plus de 20 ans dans le milieu ordinaire avec près de 50% de personnes en situation de handicap dans ses effectifs sans aide spécifique ni subvention ou allègement de charge.
C’est aussi près de 3 millions de visiteurs dans nos expériences dans le monde entier avec une présence permanente dans de nombreux pays.
Que referiez-vous peut-être différemment ?
J’ai cru naïvement que c’était un projet universel et qu’il serait reçu partout avec un certain enthousiasme car il touchait à des fondamentaux, nos sens, la cécité, une certaine forme d’humanité. Je me suis vite rendu compte au travers de certains échecs que c’était un projet profondément culturel et que quand on touchait à l’humain il fallait accepter ces différences culturelles, ces niveaux de maturité par rapport par exemple au handicap d’un pays à l’autre.
La vision des gens sur le handicap il y a 20 ans et de nos jours a-t-elle changée ?
Et bien il y a 20 ans qui aurait pu imaginer qu’un non voyant travaille dans la restauration. Aujourd’hui, nous en faisons travailler plus de 120 dans nos restaurants. Sans compter les spas et ceux qui travaillent pour notre branche Ateliers sensoriels et parfum.
Ce que nous faisons est une goutte d’eau dans l’océan mais elle est je crois inspirante. D’autres initiatives ont suivi nos pas et nos expériences ont fait réfléchir de nombreux managers sur le handicap, la différence et la création de valeur.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes entrepreneurs ?
D’essayer d’avoir une vision à long terme de leur projet pour garder une ligne directrice, un guide dans la succession d’aventures, de succès et d’échecs, d’espoirs et de désillusion qui accompagne la vie de toute entreprise. Notre vision c’était d’explorer les sens et de questionner nos visiteurs sur leurs aprioris et leurs critères de choix, leurs modes de consommation. Dans le Noir ? est une marque avec de la profondeur stratégique. C’est important pour un entrepreneur je crois de comprendre sa mission, son utilité, ses responsabilités au-delà de la performance économique qui reste l’élément central du succès d’une idée.
Ce dont vous êtes le plus fier dans toute cette aventure ?
Sans doute d’avoir un peu aidé pas mal de gens à se réaliser, à s’épanouir, à rendre leur vie un peu meilleure, plus intéressante.
Peut-être aussi d’avoir contribué à ouvrir près de 3 millions de petites fenêtres dans la tête de nos visiteurs en éveillant leur questionnement et sans vouloir leur imposer une réponse.
D’innover aussi comme nous l’avons fait dans la restauration et comme nous le faisons en ce moment dans le Parfum.
Déjà 20 ans et toujours en mouvement !
Quelle ambition ou projet maintenant pour l’avenir ?
Je ne sais pas si un sexagénaire peut avoir de grandes ambitions ! D’autres sans doute les porteront. Vivant dans une Ile en Bretagne, je me vois plus comme un passeur aujourd’hui en préparant au mieux les bases d’un nouveau rebond qui mènera Dans le Noir ? vers de nouveaux succès et une notoriété planétaire.
SI nous voulons nous faire une place dans l’univers du luxe c’est que je pense que le vrai luxe consiste à s’extraire des excès du marketing contemporain. Peut-être qu’aujourd’hui, dans le monde des réseaux sociaux qui nous font penser en silo, cimentent nos certitudes, se questionner devient le vrai luxe : retrouver notre liberté de choix par nos sens et nos émotions.
Je suis en fait assez admiratif des images qu’on construit certaines de ces grandes marques surtout Hermès, mais aussi Louis Vuitton, Chanel, Guerlain, et quelques autres qui façonnent leurs produits par l’excellence en travaillant les matières les plus nobles en préservant, voir en améliorant des savoirs faires qui portent une histoire et un avenir. Aussi parce qu’elles incarnent sans doute une élégance dans ce qu’elles font de mieux. Après je trouve que chacun devrait rester dans son histoire. Je ne comprends pas ce que des marques de mode viennent faire dans le parfum par exemple, sauf exceptions.
On est souvent plus dans le produit dérivé que dans une démarche authentique. En tout cas la démarche que nous avons suivi pour créer notre eau de parfum de nuit est bien une quête de l’excellence. En briefant Suzy le Helley et nos experts sensoriels non et malvoyant qui ont travaillé plus d’un an avec les très belles matières de Symrise, nous leur avons donné carte blanche. Pas de budget, pas de restriction. Juste les meilleures matières pour enivrer la nuit. Je leur ai même dit en rigolant, débrouillez-vous, mais je veux que les matières soient plus chères que Chanel ! Nous ferons moins de marge mais aussi moins de pub. Un brief sans doute original dans un métier qui est devenu une industrie ou tout est pesé, calibré, optimisé.
Doit-on en fait gouter un plat uniquement par sa présentation, peut-on acheter un parfum avec ses yeux, une « image de marque », par mimétisme avec une star, une photo retouchée par des logiciels et l’IA ? Je ne sais pas. Nous pensons que nos sens doivent nous ramener à l’essentiel, notre identité et une certaine authenticité. C’est ce que j’ai appelé la Dans le Noir ? attitude. C’est presque un mode de vie, une façon de consommer … simplement en fermant les yeux pour déguster un fruit, respirer un parfum dans l’obscurité, caresser une statue, à la recherche d’émotions authentiques.
Dans le Noir ? fabrique des parfums et des produits pour la nuit sans doute parce qu’elle chemine depuis 20 ans avec des gens extraordinaires qui, tout en habitant la nuit d’une certaine façon, nous proposent de libérer un imaginaire onirique qui nous sort des sentiers battus. Là est peut-être la question. Voulons-nous toujours faire partie d’un troupeau ? En refusant la facilité trompeuse d’un sens parfois trompeur, Dans le Noir ? à vocation à devenir une marque de luxe. Pas forcément au-dessus des autres. Mais certainement différente, ce gène essentiel de la création de valeur !
Interview pour le magazine en ligne Epatant – Février 2025
Par Arthur Atlas
