Crédit photo : Sylvia Galmot

LES MAISONS DE VINCENT, REFUGE ET JARDIN

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Entièrement tournées vers l’inclusion et la reconnaissance des autistes dans la société, les Maisons de Vincent résultent d’une inspiration humaniste portée par Hélène Médigue. Comédienne et réalisatrice, elle a fondé la structure en 2019 en l’imaginant comme un havre de paix et de réalisation pour celles et ceux qui sont atteints de troubles autistiques. Rencontre…

 

Interview de Hélène Médigue,
la présidente de maisons de Vincent, comédienne, réalisatrice et citoyenne.
Propos recueillis par Jérémy FELKOWSKI.

 

E – Comment le projet a-t-il émergé dans votre esprit ?

Ça s’est fait sur plusieurs années, pour tout vous dire. J’ai grandi avec un frère autiste plus vieux de onze ans et cette relation m’a entièrement façonnée. J’ai vraiment découvert le monde à travers lui. Je ne serais pas la même personne si je n’avais pas eu cette relation forte avec Vincent. L’artiste que je suis serait d’ailleurs totalement différente sans ce lien étroit. Au-delà, j’ai le sentiment d’avoir grandi à l’envers dans la mesure où durant mes dix premières années, je considérais mon frère comme une idole. Je le voyais comme un être pur, dénué de mensonges et doté de qualités humaines formidables. Après ce cap, j’ai accepté ses différences pour ce qu’elles sont et j’ai pu jeter un regard attentif sur la manière dont la société qui nous entoure l’accueille, le considère, le traite. J’en tire à la fois beaucoup de colère et de malaise. Ça m’a tout de suite isolée du reste du monde. Passé 30 ans, mon frère a été intégré dans des structures qui ne l’accompagnaient pas comme il faut. Non pas qu’elles n’étaient pas de qualité. Mais c’est la résultante d’une politique ancienne et d’une démarche nationale envers les autistes. Ce n’est qu’au XXIe siècle qu’on a réellement considéré les troubles autistiques en France.

 

E – C’est à dire ?

Jusqu’ici, les autistes étaient mal pris en charge. Bien souvent, ils faisaient l’objet de mauvaises prescriptions et recevaient jusqu’à une vingtaine de médicaments par jour. Il y avait beaucoup d’erreurs qui, parfois, s’apparentaient à de la maltraitance. Et cela, on ne peut pas le décorréler d’une réalité clinique où les gens sont mal formés, où les psychiatres n’ont pas de bagage sur l’autisme et où le personnel soignant n’a ni les outils ni les clefs pour comprendre ce public si spécifique.

 

E – Vous expliquez également avoir eu un déclic pour le lancement de ces maisons…

Oui, c’était lors du tournage d’un long-métrage documentaire que j’ai réalisé en 2018. Il s’appelait « On a 20 ans pour changer le monde ». J’y évoquais la transition écologique et j’y ai vu un parallèle entre la nécessité d’accueillir dignement les autistes et la promotion de l’agroécologie. Cette dernière étant un socle important pour permettre aux personnes différentes de prendre leur place dans la société et de servir l’intérêt général. C’est précisément au moment où j’ai pu trouver une connexion logique entre ces deux pans que le projet s’est réel- lement dessiné dans ma tête.

 

E – Quelles sont les grandes difficultés qu’il aura fallu affronter pour faire naître le projet ?

Ce sont les nombreuses batailles politiques. Il a fallu initier le modèle économique où chacun prend sa part. Le financement des lieux est assumé par les conseils départementaux et l’agence départementale de santé. L’association apporte l’immobilier via des fonds privés et des entreprises que je sollicite. Cela permet de financer tout l’aspect environnemental. La bataille a été âpre. Mais j’ai été tellement bien accompagnée par la mission interministérielle ! L’équipe de Claire Compagnon dépend directement du bureau du Premier ministre et m’a permis de finaliser le projet. Elle existe depuis 2017. C’est une chance que, pour la première fois, on dédie une stratégie nationale à l’autisme. Je n’y serais pas parvenu sans eux.

 

E – Votre projet naît en 2019 et, un an plus tard, le COVID arrive…

Ça a grandement ralenti le projet, je dois l’avouer. La maison de Mers-les-bains était en travaux à cette époque et n’a finalement pu ouvrir qu’en mars 2021. J’étais également en pleine bataille politique pour obtenir un agrément qui permettrait le financement du projet. Les nombreuses réunions nécessaires à l’opération se sont faites en distanciel. Ça a été compliqué. Mais j’ai eu de la chance.

 

E – Quel bilan, justement, peut on tirer de ces trois premières années ?

Les résidents vont mieux. C’est une certitude. Je tiens à la diversité des profils accompagnés. Tout le monde trouve sa place et se sait riche des différences des autres. Je tiens également à la gratuité du projet et à l’accessibilité de nos maisons au plus grand nombre. L’aide sociale permet aux résidents d’être là. C’était une grande victoire et j’en suis très heureuse dans la mesure où nous pouvons accueillir des gens issus de milieux très populaires. L’aspect agroécologique qui est le deuxième pilier de l’aventure a été plus difficile. Contrairement aux autres antennes, nous sommes dans un milieu plutôt urbain. L’espace est une denrée rare. Alors au lieu d’une petite exploitation, nous avons lancé une épicerie au centre de la ville. Une épicerie directement ouverte sur la place du marché qui distribue les produits locaux et fait également salon de thé. En trois ans, c’est devenu un lieu de vie pour Mers-les-bains. Un lieu où les gens se retrouvent pour boire un verre et discuter, où les résidents s’épanouissent et s’ouvrent au monde.

 

E – J’imagine qu’il y a également des difficultés inhérentes à l’accueil de certains profils ?

Oui, nous avons parfois des résidents dont le parcours et le passé rendent l’expérience plus ardue. Nous accueillons des autistes qui sortent tout juste de dix ans d’hospitalisation et qui ont connu des traitements médicamenteux massifs. Ça impose parfois des moments de régression qui sont souvent plus dus au passé qu’aux troubles autistiques. Ces difficultés sont concrètes.

 

E – Elles sont concrètes et nécessitent un personnel aguerri. Est-ce difficile de le recruter ?

C’est très difficile. Surtout dans les Hauts-de-France. Ça fait partie des batailles à mener. C’est ce que nous faisons en étroite collaboration avec Hélène Vulser du Centre de Diagnostic de la Pitié-Salpêtrière. C’est une femme incroyable entourée d’une belle équipe. Elle propose des formations spécialement dédiées à notre quête. Ce qui ne nous empêche pas de continuer de former régulièrement les gens qui nous rejoignent. Mais il est vrai que les bons profils sont encore rares. On a besoin de psychiatres et d’éducateurs formés à la prise en charge de l’autisme. C’est crucial.

 

E – La démarche globale des Maisons de Vincent s’appuie également sur un comité scientifique de renom. Qu’en est-il exactement ?

C’est donc le Centre de Diagnostic de la Pitié-Salpêtrière qui est en lien direct avec les centres de ressource déployés en région. Nous travaillons ensemble sur des évaluations ponctuelles ou régulières des progrès de nos résidents. Cela nous permet d’ajuster au mieux les conditions de notre accueil et de notre accompagnement. Il en va également de notre recrutement. Je ne veux pas décider seule si une personne pourra intégrer nos maisons ou pas. C’est donc la réflexion de toute une équipe.

 

E – Dans dix ans, à quoi pourrait ressembler l’association ?

Mon rêve, c’est de voir une centaine de Maisons de Vincent un peu partout sur le territoire. Mais à plus court terme, j’aimerais pouvoir missionner des scientifiques pour constituer un plaidoyer afin de nommer les externalités positives du projet, pointer l’impact vertueux sur l’intérêt général.

 

E – Par exemple ?

Le modèle des Maisons de Vincent, sur le long terme, permettent de faire de grandes économies au sein de la sécurité sociale dans la mesure où nous accompagnons différemment, sans sur-médication. Au-delà, il y a l’inclusion des personnes autistes dans la société. Une inclusion qui leur permet d’être productifs et de se rendre disponibles pour les autres. Il y a enfin l’impact sur l’agroécologie et toutes ces initiatives que nous mettons en place sur le territoire pour valoriser les terres et les terroirs.

 

E – Que peuvent-faire les collectivités pour vous soutenir dans cette démarche ?

Il y a plein de choses à imaginer. Prenons tous ces lieux devenus vides, ces fermes abandonnées, ces quartiers en déshérence. Ce sont des problématiques communes à tous les territoires. Des agriculteurs qui partent en retraite sans être remplacés peuvent trouver une alternative avec notre initiative, par exemple.

 

E -Et les entreprises dans tout ça ?

C’est d’abord une question d’ouverture d’esprit. La démarche n’est viable que si elle est accompagnée de tout un dispositif. Il y a des exemples très encourageants. Jean-François Dufresnes, avec Vivre et Travailler autrement, a mis en place quelque chose de fort. Il est allé convaincre de nombreux patrons pour qu’ils s’engagent dans cette démarche d’inclusion. Quitte à changer le modèle des usines qui, sur la base, en sont pas des contextes épanouissants pour un autiste. Dans les ateliers, les travailleurs reçoivent même des formations pour avoir les ou- tils et les clefs de compréhension nécessaires pour cela.

 

E – Mais tout ne part-il pas d’un manque de « culture » sur l’autisme, au sens large du terme ?

Je suis persuadé que plus de 80% des gens ne savent même pas ce qu’est l’autisme en France. On a l’image de Rain Man et de quelques fictions qui véhiculent les caricatures. Un autiste typique, les gens ne savent pas ce que c’est et ignorent comment se comporter avec.

E – Arrêter les caricatures, c’est souvent le travail d’une comédienne telle que vous, non ?

C’est ce que je tente de faire justement. J’avais réalisé un moyen-métrage de fiction avec mon frère il y a peu. Vincent est un acteur hallucinant, d’ailleurs. Les gens ont même pensé que c’était un documentaire. C’est dire ! J’ai commencé à réaliser sur ce sujet parce que ça ne pouvait pas se faire autrement. Et aujourd’hui, je prépare mon premier long métrage avec Grégorie Gadebois et Marie Gillain. Il s’appellera « Une place pour Pierrot » et évoquera naturellement la thématique qui m’est chère.

“Le handicap, c’est éprouver des limites.”

 

E – Est ce qu’il y a un message que vous auriez aimé transmettre à la petite fille de dix ans qui aimait et admirait son frère Vincent ?

Le handicap, c’est éprouver des limites. On éprouve celles de la maladie, du langage, de la compréhension, du regard de l’autre. C’est quelque chose qui n’a pas cessé de me questionner. Ce que je fais, c’est une forme de réconciliation avec cette petite fille. Je le fais pour mon frère, pour tous les autres, mais également pour elle. Je veux pouvoir créer un tout petit endroit qui a du sens à mes yeux. C’est en lien avec la noirceur de l’époque, sans doute. Mais il y a quelque chose d’intime. Je lui dirais, donc, que c’est ok. Qu’elle peut se lancer dans ces projets et dans cette conscience des choses.

 

E – S’il y avait un livre à partager avec le grand public sur l’autisme ?

Je pense à Lilou, un livre de photos. Lucie Hodiense Darras, une photographe de talent, l’a dédié à son frère autiste. Il y a aussi Ferdinand des possibles, de Francesca Pollock. Deux merveilles à découvrir.

 

E – Et les entreprises dans tout ça ?

C’est d’abord une question d’ouverture d’esprit. La démarche n’est viable que si elle est accompagnée de tout un dispositif. Il y a des exemples très encourageants. Jean-François Dufresnes, avec Vivre et Travailler autrement, a mis en place quelque chose de fort. Il est allé convaincre de nombreux patrons pour qu’ils s’engagent dans cette démarche d’inclusion. Quitte à changer le modèle des usines qui, sur la base, en sont pas des contextes épanouissants pour un autiste. Dans les ateliers, les travailleurs reçoivent même des formations pour avoir les ou- tils et les clefs de compréhension nécessaires pour cela.

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