METTRE L’IA GENERATIVE AU SERVICE DE NOTRE ALIMENTATION

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Déjà prisée pour imaginer des visuels, des mélodies, des textes ou des traductions perfectionnées, l’IA générative peut aller bien plus loin. Elle peut même contribuer à (re) dessiner notre alimentation avec de nouvelles formes de technologies et de services.

Par Hervé Pillaud, expert et évangéliste de l’agriculture numérique.

De toutes les innovations que nous ont réservé les technologies de l’information depuis un demi-siècle, les Larges Languages Models (IA générative) représentent assurément à ce jour la plus grande invention qui va bouleverser nos vies. À la différence des autres projets, la rapidité à laquelle l’utilisation de l’IA générative se diffuse est fulgurante. Il a fallu des années pour que les ordinateurs portables et Internet atteignent 100 millions d’utilisateurs. Il aura suffi de deux mois et demi à ChatGPT, à ce jour le plus connu des LLM, pour passer le cap des 100 millions d’utilisateurs. Certes, pour la plupart de ces utilisateurs, l’usage n’est pas véritablement efficient. L’art du prompt qui consiste à poser les bonnes questions n’est véritablement maîtrisé que par un nombre limité d’utilisateurs. La plupart des usagers (dont je fais partie) n’avaient même jamais entendu parler de prompt il y a 6 mois.

Nonobstant, c’est un nouveau paradigme est en train de naître.  A contrario de l’intelligence artificielle classique qui se concentre sur des taches spécifiques telle que la classification, la prédiction ou la résolution de problèmes (eux aussi spécifiques) l’IA générative est capable de créer de nouveaux contenus tel que du texte, des images, de la musique et des modèles 3D à partir de données d’apprentissage. Dans le domaine de la recherche, l’IA générative peut être utilisée pour générer de nouvelles idées, explorer de nouvelles possibilités et aider à résoudre des problèmes complexes. Elle peut également être utilisée dans des applications artistiques, telles que la création de musique, de peintures ou de sculptures. L’IA générative peut également être utilisée dans des domaines tels que la médecine, la finance, la publicité et le jeu vidéo, pour n’en citer que quelques-uns. Elle permet d’automatiser certaines tâches, de stimuler la créativité et d’explorer de nouvelles possibilités.

L’agriculture et l’alimentation n’échapperont pas non plus à son utilisation. L’IA générative représente même une véritable aubaine pour répondre à la fois aux préoccupations des consommateurs, des citoyens (ce ne sont pas toujours les mêmes), des industriels, des chercheurs et des agriculteurs. Les questions que se posent les uns et les autres sont souvent complexes et se croisent.

Qu’attend le consommateur en matière alimentaire ? Il veut tout d’abord trouver instantanément autour de lui les produits alimentaires qui correspondent à tous ses critères de plaisir, de santé, à ses valeurs et à ses envies du moment. Il veut adapter sans effort son alimentation quotidienne à son métabolisme et à ses activités physiques et mentales. Il aime à partager avec ses amis la fiche d’un délicieux produit qu’il a découvert, et les endroits où l’on peut le trouver. Voir les producteurs fiers, récompensés de leurs efforts et ainsi motivés à produire mieux pour sa santé et la planète semble devenir une préoccupation nouvelle du consommateur. L’impact écologique et sociétal des denrées alimentaires, le trajet, la distance parcourue par les aliments, deviennent une préoccupation pour beaucoup ainsi que la maîtrise de la masse de déchets. Si ce n’est pas directement l’IA générative qui sera capable d’y répondre, elle pourra le guider pour l’aider à répondre à ses questions. Des applications utilisant l’IA générative tel que Cooking University s’y essaient déjà. À partir des LLM l’application génère des recettes à partir de vos envies, de vos besoins et contraintes de santé tout en optimisant les coûts. De grandes chaînes de restauration collective s’y intéressent déjà.

Outre les attentes des consommateurs, les entreprises de la transformation en ce qui les concernent ont l’œil rivé sur les coûts d’approvisionnement, l’optimisation des processus de fabrication, la recherche de nouveaux produits et la mise en place de stratégies markéting permettant la plus large diffusion de leurs produits. Les LLM (larges modèles de langage) leurs offrent déjà de nombreuses applications. Ils permettent d’optimiser les processus de fabrication, la gestion de la chaîne d’approvisionnement, la réduction du gaspillage alimentaire, le contrôle de la qualité et le développement de nouveaux produits. Grâce à l’analyse des données, ils aident à synchroniser les stocks avec la demande, à améliorer la visibilité de la chaîne d’approvisionnement et à prédire la demande pour éviter les excédents. L’IA permet également de détecter les défauts dans les produits et de garantir la sécurité alimentaire. Enfin, les LLM génèrent des idées créatives pour de nouveaux produits. Dans l’ensemble, l’utilisation des LLM dans l’industrie agroalimentaire permet une chaîne alimentaire plus efficace, durable et adaptée aux attentes des consommateurs. La question qui se pose est de savoir si les compétences existent en interne dans les entreprises pour utiliser ces nouveaux services ? La réponse est le plus souvent non, c’est ce qu’ont déjà compris de toutes jeunes start-up comme Datum Locus qui propose à tous les maillons de la chaine de valeur des analyses avancées sur le marché du lait. Les premiers centre de formation se penchent déjà sur la mise en place de programme de formation à disposition des entreprises pour optimiser l’utilisation des LLM. Nous assistons déjà aux prémices d’une refonte des métiers. Nous ne devons pas le craindre mais l’anticiper.

L’agriculture n’échappera pas non plus à l’utilisation des LLM. Elles représentent même une opportunité pour dessiner une agriculture capable d’assurer l’ensemble des besoins alimentaires et extra alimentaire en respectant l’environnement. Nous allons passer d’une agriculture intensive en intrants (engrais chimiques, pesticides) à une agriculture intensive en connaissances. Le chantier est énorme et les géants du digital l’ont déjà compris. C’est la raison pour laquelle Google a créé Minéral sa filiale agricole. La firme de Mountain View affiche d’emblée la couleur : « Minéral développe de nouveaux outils pour aider l’humanité à nourrir le monde tout en sauvant la planète. Et nous laissons la nature nous montrer comment procéder ». Ils ont simplement compris que l’agriculture et l’alimentation seront des enjeux stratégiques pour l’équilibre mondial. C’est la raison pour laquelle nous ne devons pas passer à côté des opportunités offertes par les LLM. L’IA générative va par exemple permettre à des applications de reconnaitre toutes sortes de plantes par une simple photo à n’importe quel stade de sa vie, de la plantule à la feuille, à la fleur ou à la graine. Il sera possible d’avoir une évaluation du risque que cette plante fait prendre à la culture dans laquelle elle pousse et comment s’en débarrasser si c’est nécessaire. Seule une énorme quantité de données agrégées sur une même plateforme est capable de fournir de telles indications. Prenons un autre exemple, celui des espèces comestibles négligées, Minéral a l’ambition grâce à ses algorithmes d’accélérer les processus de sélections de ces plantes pour permettre leurs cultures, notamment en stabilisant les rendements mais aussi en travaillant les solutions nécessaires à leurs cultures et leur utilisation dans l’alimentation. Construire de tels modèles est coûteux, difficile et ne peut être réalisé que par un tiers capable de mettre en place un système ouvert.

Une question se pose, ou en sommes-nous en France et en Europe. En 2023 l’INRAE[1] en collaboration avec un consortium de chercheurs européens a publié une étude très riche sur le thème : « Une agriculture européenne sans pesticides est-elle possible en 2050 ? »[2]. Cette étude, très intéressante, pose bien les bases des différents scénarios mais ne nous met pas en ordre de marche pour y parvenir. C’est tout le contraire de Google avec Minéral et là, une question se pose : doit-on construire notre propre plateforme ou s’associer à Google ? J’avoue que je suis partagé sur la réponse : pour aller vite, il me semble que s’appuyer sur les outils que propose Google (ou d’autres, Microsoft par exemple qui développe FBN[3] et tient actuellement le lead en matière d’IA conversationnelle grâce à son investissement dans Open IA) nous fera gagner du temps … et pourtant disposer d’une plateforme française et européenne ne doit pas être écarté, elle devrait garantir plus facilement notre indépendance technologique. Se doter de LLM français et européen est une question qui dépasse l’agriculture, c’est à n’en pas douter une question de souveraineté à bien des niveaux : pour la sécurité de nos données, mais aussi pour se doter d’outils d’apprentissages automatiques construits sur les fondements de notre culture. La plupart pour ne pas dire la quasi-intégralité des LLM sont pensés et construit en anglais et ce n’est pas aussi anodin qu’on peut l’imaginer.

Une langue est bien plus qu’un alignement de mots pour échanger, c’est le reflet d’une culture le plus souvent mal interprété par les traducteurs automatiques. Nous devons veiller à ce que l’IA ne mette pas plus à mal la francophonie qu’elle ne l’est déjà. A ce titre, l’alimentation que nous avons érigé au rang de patrimoine national représente un bon cas d’usage pour mettre en place des assistants conversationnels à la française.

[1] https://www.inrae.fr/

[2] https://www.calameo.com/inrae/books/006800896b5376fe6dc41

[3] FBN https://www.fbn.com/

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