Nadia Teresskiewicz : « Il faudrait à tout âge s’enthousiasmer comme à vingt ans »

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En 2019 et 2020, on la retrouvait déjà dans de nombreux films : notamment Persona non grata de Roschdy Zem, Seules les bêtes de Dominik Moll (ou elle rencontre Valéria Bruni Tedeschi) ou encore Babysitter de Monia Chokri. Mais c’est le récent Les Amandiers (novembre 2022) de Valéria Bruni Tedeschi qui la révèle pleinement et la propulse au stade de nouvel espoir du cinéma français. 

 

Ex-danseuse classique, actuelle révélation du cinéma français, et future star à la filmographie internationale, Nadia Tereszkiewicz embrasse et embrase tout sur son passage. Du long-métrage au clip musical en passant par la mini-série, à 26 ans cette comédienne franco-finlandaise a déjà su faire sensation devant de nombreuses caméras et auprès de marques qui l’adorent – comme Dior. Cette année, Cannes et son festival lui ont fait tapis rouge pour son rôle d’apprentie comédienne dans Les Amandiers. Pour ce film, elle se glisse dans les pas et la peau de la réalisatrice Valéria Bruni Tedeschi, qui rend hommage à la célèbre école de jeu fondée dans les années 1980 par Patrice Chéreau et Pierre Romans à Nanterre. En ce mois de novembre 2022 dans les salles de cinéma, Nadia incarne Stella. Rencontre avec une étoile en route vers le firmament.

 

Épatant : Comment avez-vous été choisie par Valéria Bruni Tedeschi pour le rôle principal de son film Les Amandiers ?

Nadia Tereszkiewicz : Elle a fait son choix suite à quatre mois de répétitions, donc ça a été une aventure assez intense… J’avais rencontré Valéria en 2019 sur le tournage du film de Dominik Moll Seules les bêtes, dans lequel elle jouait mon amoureuse. Ensuite, j’ai été appelée pour le casting de son propre film, et de janvier à avril, je suis retournée la voir une trentaine de fois pour des essais. On a beaucoup travaillé. J’en étais arrivée à oublier que c’était un casting, pour moi on entrait dans une période de travail. Et j’ai accepté l’exercice avec entrain : je sentais qu’elle me faisait grandir. 

 

En quoi consistaient ces essais – ou plutôt ces périodes de travail ?

On travaillait sur différentes pièces, sur des extraits de scènes… sur plein d’autres choses que le film, à vrai dire. À un moment, au cours des essais, j’ai lâché quelque chose – je me suis même sentie honteuse, ridicule. Je pense que c’est précisément à ce moment-là, lorsque j’ai baissé la garde, qu’elle s’est dit qu’elle pouvait m’emmener là où elle l’entendait. Je n’ai pas du tout été une évidence pour elle. Quand j’ai obtenu le rôle et que les répétitions officielles ont commencé, on avait déjà bien entamé le travail, beaucoup de choses avaient déjà été mises en place.

 

Avez-vous la même manière de travailler ?

Je l’ai beaucoup observée, je me suis beaucoup adaptée à elle, mais en même temps tout d’elle me parle. Je tiens à le dire : Valéria a changé ma vie, c’est l’une de mes plus belles rencontres. Elle exige des autres et atteint elle-même un tel degré de vérité… Elle m’a entraînée vers une concentration extrême, à l’intérieur de laquelle il faut savoir trouver du lâcher prise et ne plus se regarder. C’est le seul tournage où l’on a le droit de finir en larmes tant le fou rire nous prend et où la réalisatrice en est heureuse ! Au moindre petit accident – lorsque je faisais tomber quelque chose par exemple, moi qui suis maladroite – elle me félicitait. Quand on me demande si j’ai suivi une formation, je réponds souvent que j’ai fait “l’école Valéria” !

 

Votre pitch des Amandiers

C’est l’histoire d’un collectif, celui de l’école des Amandiers à Nanterre, dirigée par Patrice Chéreau et Pierre Romans. On suit la vie de cette troupe sur deux ans dans les années 80. Chacun y a son histoire à part entière, avec son lot d’amours et d’amitiés, de passion pour le théâtre, pour les mots…. J’y incarne Stella, une jeune femme de 20 ans animée par un amour passionnel et son désir de devenir actrice. C’est dans un contexte empli d’incertitudes sur fond d’angoisses liées au sida et à la drogue qu’elle va vivre son plus grand amour, sa tragédie.

Qu’est-ce que le film raconte sur la jeunesse ?

Il parle d’une énergie débordante, d’une envie de vivre intensément. Et puis il dépeint les jeunes gens d’une certaine époque – même s’il y a une vitalité incandescente propre à la jeunesse toutes époques confondues. La notion du danger d’alors était différente d’aujourd’hui. Dans les années 80, on voulait tout expérimenter à cent à l’heure – pourtant la menace de la mort était omniprésente avec le sida qui sévissait… Valéria nous parle beaucoup de cette dynamique d’Eros et Thanatos, le duo/duel érotisme/mort. C’est cet équilibre-là qui crée des forces contraires et contrastées dans le film. 

 

Et vous, quelle beauté trouvez-vous à la jeunesse ? 

Je pense que c’est sa part d’innocence et d’excitation permanente qui est belle. Il faudrait à tout âge s’enthousiasmer comme on le fait à vingt ans. Tomber amoureux d’une personne, d’un métier, d’un texte, d’une langue, d’une idée… Garder l’envie brûlante et irrésistible de s’adonner à la vie. Et se remettre en doute aussi, parce qu’on doute beaucoup quand on est jeune, et c’est beau.

 

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre ?

J’étais danseuse avant. C’était mon métier. Donc la scène a fait son entrée dans ma vie avant les plateaux de cinéma. J’ai découvert le théâtre sans en faire, simplement par la lecture de textes dramatiques. Pour mes études en hypokhâgnes et khâgnes, moi qui n’avais jamais mis les pieds dans un théâtre avant dix-huit ans, j’ai dû voir une centaine de pièces en deux ans. Certaines m’ont absolument bouleversée. Après un passage au conservatoire du huitième arrondissement de Paris, j’ai passé le concours de la classe libre au Cours Florent… et je l’ai eu. Mais au moment où je l’ai intégrée, je commençais à tourner, donc c’est une expérience que je n’ai pas pu vivre pleinement. C’est vrai que j’aime énormément le cinéma, et que le rythme de vie qu’il m’offre me plaît. Le théâtre est très engageant, on met sa vie en suspens le temps d’un projet. Mais à l’occasion d’une belle proposition, j’adorerais m’essayer officiellement aux planches.

 

Le film Les Amandiers met en abîme le théâtre dans le cinéma…

De manière globale, le film parle de théâtre, mais il le fait plus particulièrement en mettant en abîme la pièce Platonov montée par les élèves. C’est un texte de Tchekhov qui parle justement de la jeunesse qui s’enfuit, du temps qui passe… La pièce résonne un peu comme une invitation à vivre les choses. Peut-être que le théâtre et le jeu nous amènent à prendre conscience plus tôt, et de manière plus aigüe, que le temps passe vite et qu’il faut en profiter.

 

Comment appréhendez-vous le temps qui passe ?

J’ai l’impression d’être plus apaisée à vingt-six ans qu’auparavant. En avançant dans sa vie d’adulte, on se positionne plus clairement par rapport à ce qu’on souhaite dans la vie, à ce qui nous est cher. C’est beau de s’inscrire dans le temps en construisant, en déconstruisant aussi… Alors qu’à dix-huit ans, j’avais l’impression que ma vie était finie, parce que l’âge s’évalue différemment dans le monde de la danse à un stade professionnel. La fin de carrière arrive beaucoup plus tôt qu’ailleurs. En caricaturant à peine, arrivé à la majorité, si on n’a pas de contrat avec la meilleure compagnie, on ne travaille plus. À quinze ans, quand je n’étais pas prise en audition, je me sentais déjà trop vieille. J’avais honte de mon âge. Dans ce milieu, le corps n’a pas le droit de grandir, ou du moins de vieillir. Lorsque j’ai arrêté la danse sur un coup de tête, je me suis retrouvée avec des jeunes de mon âge qui avaient l’air de disposer du temps comme d’une monnaie infinie… Ils s’octroyaient le droit d’en “perdre” à se chercher, à prendre des pauses, à ne pas faire de plan de carrière. Alors que pour moi, l’indécision était un luxe auquel j’avais dû renoncer depuis de longues années déjà ! Cette nouvelle vision des choses m’a donné un profond sentiment de liberté.

 

Qu’est-ce qui anime votre désir d’actrice ?

Je déteste donner cette réponse parce qu’elle ressemble à la réplique culte d’Edouard Baer dans Astérix et Obélix, mais je dirais les rencontres. Je n’arrive pas à le dire sans que ce soit comique ! Mais oui, les rencontres… Pas seulement humaines : celles qui se font aussi avec un rôle. Grâce à elles, rien que l’année dernière j’ai pu voyager à Madagascar ou en Algérie pour tourner… C’est une chance inouïe que je chéris profondément.

 

De quelles qualités doit disposer un projet pour vous séduire ?

Je ne suis pas quelqu’un de très engagée dans la vie – je ne suis membre d’aucune association par exemple. À vrai dire, je n’ai pas encore trouvé ma façon de militer. Alors en attendant j’ai l’impression de le faire, à une moindre échelle, à travers mes rôles. Il faut donc que le personnage que j’interprète ait quelque chose à dire ou à défendre. J’aime aussi qu’il soit complexe : jouer toutes les contradictions qui nous tourmentent est bien plus passionnant qu’emprunter un chemin plus linéaire dans le jeu.

 

Quelle est votre recette d’actrice pour vous emparer d’un rôle ?

Je me rends compte que je n’ai pas de méthode parce que je travaille avec chaque réalisateur comme si tout était nouveau. Je les laisse m’accompagner dans le travail et embrasse leur façon d’aborder un tournage. Avec Valéria, ça a été une immersion totale en mon personnage hors plateau, jusqu’au porte-clé dans mon sac qui était celui du rôle. Pour l’anecdote : un jour, je suis arrivée avec le texte de La Cerisaie sur moi… et elle s’est fâchée très fort parce que mon personnage travaille Platonov du même auteur, et non La Cerisaie ! Je trouve ça magique. J’avais un carnet secret pour le personnage, où je consignais tous les souvenirs, les sensations de Stella… Mais pour prendre un autre exemple, dans le film que je viens de tourner avec François Ozon pendant plusieurs mois, le travail s’est plutôt axé sur le rythme. Avec François, il fallait respecter un certain phrasé. D’autant qu’il s’agit d’une comédie. J’ai dû travailler avec d’autres codes, c’était un autre langage. Pour mon prochain projet – l’histoire d’une femme à barbe en 1890, aux côtés de Benoît Magimel et sous la direction de Stéphanie di Giusto – c’est encore une autre manière d’appréhender le travail. Ne serait-ce que parce que la préparation du personnage exige une transformation physique. 

 

Un conseil à partager avec de jeunes comédiens et comédiennes?

Je me verrais mal asséner des vérités et donner des leçons alors que je démarre tout juste dans le métier moi-même. Mais si je devais partager un peu de mon expérience, j’encouragerais tous jeunes comédien.nes à être curieux.ses, tout le temps. J’inciterais aussi à faire confiance aux aléas de la vie : si un projet ne se fait pas, c’est qu’il ne devait pas se faire, ou qu’il n’était pas fait pour nous. 

 

L’artiste qui vous a le plus bouleversée ?

La première fois que j’ai pleuré devant la beauté d’une œuvre d’art, j’avais quatre ans, et c’était devant le travail de Pina Bausch. Ces propositions artistiques mêlaient danse, théâtre, séquences de vie filmées… Je ne l’ai jamais rencontrée, mais c’est à elle que je dois mon mon éveil artistique.

 

Un film qui vous a énormément marquée ?

Breaking the Waves de Lars Van Trier. J’en écoute encore la bande son, une sonate de Bach. Lorsque je dois pleurer, je lance ce morceau. Il peut tout à fait déclencher des larmes de joie, attention ! Le film est une tragédie mais il est aussi un hymne à la foi, à la vie. Il communique une énergie folle, et surtout l’envie d’aimer.

 

Valéria aime citer son amie et collaboratrice Noémie Lvovsky ainsi : “seule la fiction permet d’arracher les souvenirs à la nostalgie”. Et vous, quelle vertu prêtez-vous à la fiction ?

Pour moi, l’expérience de la fiction déclenche des déclics. Avec elle, on grandit.

 

Votre rêve artistique ?

Si je peux voyager, je serai heureuse. Que ce soit géographiquement, ou dans le temps à travers des films d’époques différentes… Ou de manière plus métaphorique, d’un univers de cinéaste à un autre… Juho Kuosmanen est un réalisateur finlandais qui me fascine et avec qui je rêverais de travailler. D’autant que je suis moi-même à moitié finlandaise. Je pense également au cinéaste italien Pietro Marcello que j’ai rencontré et dont le travail me bouleverse. Et si on est vraiment au firmament du rêve : une collaboration avec Lars Von Trier. 

 

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